J’ai découvert Monique et Michel
Pinçon deux sociologues et leur livre « L’argent sans foi ni
loi » lors d’une rencontre à la Librairie de la Renaissance à Toulouse à
l’automne dernier.
J’ai profité de leur présence pour leur
faire dédicacer leur dernier ouvrage : ils étaient côte à côte devant une
mini table, complices dans la vie comme dans leurs livres. Monique est un petit
modèle, pétillante et enthousiaste malgré le marathon de ces 2 jours passé à
Toulouse. Michel écrit le texte sur la page de garde. Il est plus réservé mais
aussi mordant dès qu’on le met sur les rails. On voit bien qu’ils sont fatigués
mais ils sont là pour faire le job : transmettre et convaincre. La salle
est déjà acquise. C’est un petit amphithéâtre chaleureux qui jouxte la librairie
et l’imprimerie, toutes deux gérées par le Parti communiste. Grâce à ces militants
et ses sympathisants la Librairie est un vrai lieu de partage et d’éducation
populaire.
Une petite synthèse
de cette rencontre
Monique Charlot
dit
Il existe peu de sociologues qui
s’intéressent aux riches. Les riches ont fait sécession : ils sont en
train de se constituer en créateurs de richesses. C’est grâce à eux (d’après
eux) que nous avons des emplois. Si on n’est pas à leur botte ils menacent de
partir à l’étranger. Ils se posent en victimes.
Méthode : ils ont dématérialisé
l’argent. L’argent a une prétention à l’universel (lien social). Il a été
dévoyé par la classe dominante. A la sortie de la 2ème guerre
mondiale les USA ont signé les accords de Bretton Woods : toutes les
monnaies du monde ne sont plus indexées sur l’or. Seul le dollar est
indexé sur les réserves d’or. Le dollar devient la monnaie universelle.
Le 15 août 1971, R. Nixon annonce que le
dollar n’est plus indexé sur les réserves d’or. La valeur du dollar va changer
tous les matins. La planche à billets fonctionne à plein régime.
En 1973, une loi interdit à la banque de
France (nationalisée en 1945) de prêter de l’argent à l’état français. L’argent
est transformé en arme financière pour détruire les états et asservir les
peuples. Désormais, l’état français devra s’alimenter sur les marchés
financiers (argent privé).
Le 19 octobre 1985 puis en 2008, la
crise est mondiale : on nous a fait croire qu’on a besoin des banques pour
vivre. Hors, ce sont les crises qui permettent au système de rebondir. On nous
fait croire que pour sauver le monde il faut renoncer à tous les avantages
sociaux acquis au fil des siècles.
L’Europe est aujourd’hui la cible des
USA. La banque européenne fait fonctionner la planche à billets pour
« aider » l’Espagne, la Grèce… à condition que les politiques
d’austérité soient à la mesure des désirs de Goldman Sachs.
Michel Pinçon : Le
rôle de l’argent dans l’existence de la classe dominante.
Pour appartenir à la classe dominante il
faut avoir un patrimoine mais cela ne suffit pas. Que ce soit dans les
affaires, dans l’industrie, etc. il faut avoir (de naissance) les bonnes
manières. Il faut être adoubé par les membres de la classe pour être accepté
dans ce milieu.
L’argent donne du pouvoir sur le temps
et l’espace ; il permet d’habiter dans de beaux quartiers. La classe
dominante voit d’un mauvais œil l’arrivée dans ces quartiers de nouveaux riches
(monde du spectacle, du sport) qui ne sont pas nés riches.
Transmission : quand on a un patrimoine important
on ne peut pas ne pas se poser la question de la transmission. Les familles
riches ont un rapport à la vie différent de celle des ouvriers car ils
inscrivent leur existence dans une grande amplitude.
Culture et éducation : les familles riches envoient
leurs enfants dans des écoles particulières. La culture est familière et fait
partie du quotidien…Les gens riches deviennent collectionneurs. A un certain
niveau de richesse il y a la possibilité de créer. François Pinault a créé deux
musées à Venise.
L’argent n’est pas seulement un pouvoir
d’achat, c’est un pouvoir symbolique extraordinaire : on apprend à se vêtir,
on acquiert la « classe ». Cette « classe » ne tombe pas du
ciel, c’est bien le résultat d’une culture. La classe des riches est une classe
très mobilisée. Elle se réunit dans des cercles. Le libéralisme est roi !
Et dieu dans tout ça ? Monique nous
dit que la religion est une variable secondaire.
Politique
Les riches sont réunis par une très
forte communauté idéologique. Dans les classes moyennes et populaires il y a
beaucoup de dispersion au moment du vote alors que dans le milieu des riches le
vote de classe est unique.
Au détour d’une remarque de Michel
Pinçon on apprend qu’Elisabeth Guigou est un membre actif et influent de la
commission trilatérale en France ;
elle fait partie de ces cercles du pouvoir. E.
Guigou a présidé en 2008 une session de cette organisation, et présidé une de ses séances dont
l'intitulé est "Sauver l'Europe de la tyrannie des référendums" ! Les
auteurs du livre rapportent des éléments du compte-rendu du style : "Le
référendum irlandais a été humiliant, et prouve que les référendums sont des
mécanismes purement destructifs." ou encore : "L'Union européenne a
besoin de traités, et les référendums tuent les traités" ! –note trouvée
sur le blog de Médiapart –
Monique et Michel Pinçon
s’accordent à dire et à écrire que cette classe recherche l’entre soi. C’est
une communauté avec ses valeurs, sa langue.
Comment les sortir de
leur ghetto ? Leur ghetto était les hôtels particuliers de l’avenue des
Champs Elysées. Aujourd’hui cette avenue abrite beaucoup de bureaux et est
envahie de touristes. Du coup de nombreux riches l’ont quittée. Ils ont investi
d’autres espaces plus tranquilles.
Que faire pour
lutter contre cette classe ? (la lutte des classes existe toujours bel et
bien !)
Monique et Michel
Pinçon nous engagent à suivre leur exemple. Il faut fédérer tous les
mouvements ; faire en sorte que tous ceux-ci soient r a d i c a u x !
Tout
cela peut paraître banal et le rendu d’un tel moment d’échange fait un peu
figure de vieille lune mais c’est autre chose d’y assister.
J’ai
beaucoup aimé l’exposé revigorant de ces sexagénaires explosifs, le
discours parsemé des anecdotes du vécu : comment s’introduire chez Nadine
de Rothschild en gagnant la
confiance de la « bonne » ;
leur expérience d’une chasse à courre … ET toujours cette critique
distanciée, l’œil aux aguets. J’admire surtout la fidélité à leurs convictions
que rien n’ébranle et qu’ils font partager aux jeunes générations des grandes
écoles (comme la veille à Sciences Po) subjuguées d’entendre enfin un autre
discours !