Samedi 26 février, 9 h 15. Quelques instants à traîner dans la cuisine entre la table, du petit déj, l’évier, et la buanderie où le linge s’est accumulé dans la corbeille pendant la semaine. Je débarrasse la table de ses miettes que je parsème sous l’arbre de la cour, là où les tourterelles viendront sans crainte. Je les observe depuis une semaine roucoulant et picorant en lançant des oeuillades furtives vers la maison. Le vieux prunier s’éclate en fleurs blanches. Je ne me lasse pas d’admirer le vieil arbre qui nous offre un bouquet tout blanc au-dessus du tronc raviné et tordu d’arthrose.
Le ciel est gris, il neige sur les Pyrénées mais à Toulouse, ça va ; pas trop froid.
Je dresse l’oreille : « ….une étude européenne montrerait qu’il n’y a pas de crise de la valeur travail… ». L’émission « On n’arrête pas l’éco » -Alexandra Bensaïd- vient de commencer et le sujet me fait saisir mon cahier fourre-tout. Je note en sténo -toujours très utile pour les cas d’urgence, le plus dur c’est de se relire ensuite) oui je sais y’a le podcast mais c’est pas pareil ! - les propos de la journaliste et de ses invités. Hubert Landier (spécialiste d’audits de climat social et des risques psychologiques au travail) et Dominique Méda (chercheuse, philosophe et sociologue) font part de leurs réflexions sur le thème du stress au travail.
« …mais on aimerait que le travail prenne moins d’importance dans la vie. Une comparaison européenne montre que les français sont ceux qui sont les moins satisfaits au travail et qu’ils sont les plus stressés des européens : problèmes de salaires, problèmes de reconnaissance monétaire et non monétaire. Pas de perspective de promotion.
Toutefois au sein d’une même entreprise les choses peuvent être différentes suivant les salariés et selon le management local ».
Les transpositions littéraires du stress au travail font référence à des écrivains connus ou moins connus ; Zola -bien sûr « Germinal » avec le travail de la mine- ainsi qu’Amélie Nothomb dans « stupeur et tremblements » (très bien à mon goût). Je pense aussi à un écrivain social actuellement plus souvent cité mais dont il n'est pas question dans l'émission et je m'en étonne : Gérard Mordillat dont le livre « des vivants et des morts » a été porté à l’écran TV dans un téléfilm que j’ai trouvé excellent et en plein dans l’actualité.
Ces écrivains écrivent sur des situations où l’humain n’est plus pris en compte.
Nathalie Kuperman auteur du roman « Nous étions des êtres vivants » dit que son roman est né de la nécessité de parler de la morosité ambiante et délétère qu’elle constate dans son entourage ; des amis sont détruits parce que confrontés à des exigences qui ne sont pas les leurs c’est le « mortel management » titre du polar d’entreprise de Christian Poissonneau.
Oui, il existe un nouveau genre littéraire, le roman d’entreprise. C’est nouveau et c’est bien le reflet d'une réalité de plus en plus marquante sur la souffrance au travail.
J’ai lu un roman de Delphine de Vigan où il est question de nucléaire (intéressant quant on est plongé dedans pourtant le souvenir que j’en ai gardé est très vague) mais je ne sais plus s’il s’agit de « les heures souterraines » avec lesquelles elle a remporté le prix du roman d’entreprise en 2010 .
Dans mon cadre de travail, un hôpital, je côtoie des collègues face à ces difficultés : les contraintes de changements d’organisation du travail, d’outils sans cesse nouveaux auxquels il faut s’adapter et à intégrer rapidement pour être « opérationnel », les CDD qui remplacent des titulaires épuisé(e)s, en bout de course… une philosophie du travail qui s’étiole face à l’urgence, la course au rendement (nous sommes dans un hôpital !) devant des patients qui n’ont plus la patience d’attendre parce qu’ignorants du contexte vécu de l’autre côté du brancard par l’aide-soignante, l’infirmière ou la secrétaire médicale. Tout cela est une réalité qui peut conduire des salariés à des états de dépression, à la maladie parfois longue.
Je connais parfois intimement les situations de chacun(e) : un divorce, une maladie, les soucis des enfants, les conflits entre salariés d’un même service ou avec la hiérarchie qui elle-même relaie la pression de la direction qui elle-même est la courroie de transmission du ministère de la santé. La boucle est bouclée et à quel prix !
Hubert Landier fait le constat que le collectif « ne marche plus ». Les salariés n’ont pas le soutien de leur hiérarchie ou de leurs collègues.
L’aspect syndical, la place du médecin du travail sont complètement absents dans l’émission ; sans doute aurait-il fallu davantage de temps pour inclure ces aspects mais c’est à mon sens une grosse lacune de l’émission d’avoir évacué ces paramètres dont celui du C.H.S.C.T (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) -à peine mentionné-Il est vrai que les médecins du travail n’existeront bientôt plus dans les entreprises. Ils sont déjà peu nombreux à travailler au sein d’un établissement à part entière. Les mutualisations, le manque de candidats ne tarderont pas à les faire disparaître ou tout du moins à les déconnecter de la réalité entre le salarié et son travail.
Après la littérature c’est le théâtre qui sort de la boîte à outil : le « théâtre à la carte » est implanté en France depuis 1992. « Théâtre à la carte » intervient auprès d’entreprises, d’administrations pour permettre d’évacuer le stress. Des scénaristes montent une pièce à partir des entrevues avec les salariés. A partir d’un travail de journalisme les scénaristes écrivent les dialogues plus vrais que vrais. Ces représentations permettent de libérer la parole et sont une alternative originale aux formations classiques très en vogues sur « gérer le stress » etc. Apparemment c’est une affaire qui marche : la demande augmente de 20 % depuis 2 ans.
Face à ce miroir les salariés font une approche décalée de leurs difficultés de management ou face à leurs hiérarchie.
Les gens sont pris aux tripes.
C’est sans doute un début mais ce n’est pas suffisant. Je vois de nombreux collègues salariés, au travail et je constate de plus en plus le désengagement général par rapport au travail : on vient travailler pour gagner sa vie matérielle, sans croire qu’il y ait autre chose à gagner ; l’enrichissement de l’échange, du collectif se perd alors que les salariés souhaiteraient être davantage associés à la stratégie de l’entreprise. Le mal-être vient de ce que le travail n’est plus au centre des préoccupations. Les 35 h ont amené une prise de conscience d’un temps libéré pour le loisir, et pas uniquement pour le dépenser avec un capital que la plupart n’ont pas mais pour s’octroyer une respiration qui devient de plus en plus nécessaire en dehors du travail.
L’interview fait ressortir la nécessité d’évaluer des indicateurs différents de ceux du PIB ; comment évaluer les indicateurs du capital social ? Ne doivent-ils pas aussi être intégrés dans la courbe de croissance ? L’efficacité au sens économique d’un pays ne passe-t-il pas aussi par le bonheur au travail ?
La comparaison avec nos voisins fait le constat d’une préoccupation plus grande dans les pays du nord en ce qui concerne les indicateurs sociaux.
Même s’il y a une prise de conscience de la part des cadres et des dirigeants d’entreprises les idées toutes faites sont encore trop souvent colportées : non le stress au travail n’est pas que la conséquence de facteurs personnels et médicaux.
Je me souviens d’un échange très intéressant fin 2009, lors d’une réunion entre camarades d’un Comité où Christophe Abramovski nous avait fait un exposé clair et passionnant sur « la souffrance au travail ». Voir les ouvrages de : Christophe Dejours – Danièle Linhart.
J’avais noté qu’il y a moins de 6000 médecins du travail pour 22 millions de salariés. Qu’un salarié sur 8 développe des TMS (troubles musculo-squelétiques). Nous avions parlé de la valorisation du travail par le jugement qu’on porte sur l’utilité, la beauté, la singularité. Une faille sur l’un de ces 3 jugements peut créer une brèche pour la souffrance.
Dans les nouvelles formes d’organisation du travail les évaluations individuelles des performances ne donnent plus de place aux résistances clandestines.
Pour conclure : l’émission d’Alexandra Bensaïd était trop consensuelle à mon goût et n’a pas donné d’exemples d’expériences d’organisation du travail telles que celles pratiquées en Norvège, en Yougoslavie ou ailleurs. Je suis un peu restée sur ma faim.