J’aime beaucoup écouter la radio : à la cuisine c’est France Inter.
Tout en buvant mon café noir, j’écoute le billet d’Audrey Pulvar (ça commence bien !). Je connaissais la belle Audrey par la TV et c’est avec plaisir que je l’écoute sur France Inter. Si j’ai tilté ce matin c’est que grâce à la lecture récente du livre des prénoms bibliques et hébraïques (de Marc-Alain Ouaknin et Dory Rotnemer édité chez Albin Michel) j’ai appris plein de choses sur l’histoire des peuples juifs, égyptiens… Tout comme j’aime visiter les lieux de culte pour ce qu’ils représentent de l’histoire des hommes et de leur génie, les religions, les mythes, ramènent toujours à l’humain et la façon l'histoire religieuse est transmise peut expliquer très souvent les raisons (cachées) de l’asservissement de certains groupes ou les guerres entre peuples.
Audrey Pulvar parlait ce lundi matin du livre de Guillaume Hervieux, spécialiste des religions, « L’ivresse de Noé ».
La cracotte est restée supendue en l’air et j’ai écouté r e l i g i e u s e m e n t Audrey expliquer qu’il s’agit dans ce livre de « la remise en cause d’un mythe, biblique, celui de la malédiction de Cham ».
Je vous laisse écouter l'article d'Audrey :
"l’ivresse de Noé" est une ivresse dont l’un des fils de Noé, réputé Noir, Cham, aurait été témoin et qui lui valut la malédiction de ses descendants, voués, pour des siècles et des siècles, à être serviteurs des serviteurs -entendez esclaves. Une malédiction qui a longtemps servi, entre les XVème et XIXème siècles, à justifier la traite des Noirs.
Mais c’est une lecture très différente de ce mythe biblique que nous propose Guillaume Hervieux. Dans les chapitres IX et X de La Génèse , Cham fils de Noé, voit, sous sa tente, son père ivre et nu et ne détourne pas le regard. Il sort de la tente et avertit ses frères Sem et Japhet qui, eux, entrent à reculons sous la tente, puis couvrent la nudité de leur père.
Selon Guillaume Hervieux, démonstration très argumentée à l’appui, ce n’est pas simplement pour avoir vu son père nu et avoir compris le secret de sa naissance que Cham suscite ainsi le courroux d’abord paternel et ensuite divin. Si Cham, à travers son fils Canaan, subit le châtiment de l’esclavage c’est parce que d’un point de vue étymologique, l’expression biblique censée signifier « voir la nudité » peut aussi se traduire en hébreux, comme « s’approcher, donner son lit conjugal, donne sa couche»… il y aurait donc eu inceste, entre Cham et Noé !
Voilà pour un premier tabou attaqué par Guillaume Hervieux, mais ce n’est pas le seul.
Non, l’autre question que pose Hervieux c’est de savoir si vraiment Cham peut être considéré comme l’ancêtre de tous les Noirs, dans les textes sacrés, et si son fils Canaan, qui est celui sur lequel tombe la malédiction, est lui-même noir. Parce que s’il ne l’était pas, la théorie selon laquelle cette malédiction serait la justification biblique de l’esclavage tomberait bien sûr, d’elle-même.
Alors évidemment, les historiens, les théologiens, les hommes et les femmes d’églises en sont revenu depuis longtemps, de cette « justification » de l’esclavage par la malédiction de Cham et de Canaan, mais ils ne sont pas nombreux à remettre ainsi en cause le sens même de cette malédiction. D’après Guillaume Hervieux, non seulement on ne trouve -quand on cherche avec minutie et en mettant différentes études, textes et traductions en perspective- aucun fondement dans la bible des chrétiens, celle des juifs, ou dans le coran à cette fameuse malédiction des Noirs, mais cette malédiction avait en fait pour objet d’obliger Canaan et sa descendance à défendre une terre alors nommée Palestine.
La vraie malédiction de Canaan est, selon Guillaume Hervieux, une légitimation divine à la conquête de ce territoire, alors palestinien, par les hébreux.
Depuis 3 500 ans, nous rappelle-t-il, la Palestine est l’objet de luttes d’influence mais aussi de brassage des populations, elle a changé à plusieurs reprises de mains, passante notamment sous influence des Hébreux, des Philistins, des Egyptiens, des Perses, des Romains, des Arabes musulmans, des croisés chrétiens, des Ottomans, des Anglais, des Palestiniens et des Israéliens.
Résultat, aujourd’hui, Palestiniens et Israéliens descendent de ces populations et face à face se dressent deux identités religieuses revendiquant la même terre alors qu’elles ne sont qu’un miroir de l’autre. Au fond, le rejet des juifs, de la part des musulmans, comme l’inverse, c’est du déni de soi-même !
Guillaume Hervieuw remercie, dans son livre Olivier Petre-Grenouillau, l’historien spécialiste des questions de l’esclavage, dont les écrits et les propos ont parfois suscité de violentes polémiques. Je ne doute pas que cette Ivresse de Noé ne produise aussi quelques belles joutes verbales ou écrites !
Et voilà ! Intéressant non ? Merci Audrey Pulvar.