Nous avions passé la journée dans « le terroir », comme le qualifient mes enfants qui ont été adoptés par le 18ème parisien. Ils auraient certainement apprécié le foie gras d’oie, le civet de sanglier, le champagne et les anecdotes truculentes qui ont accompagné la ripaille. Nous avons rendu visite à mes beaux-parents dans le cimetière encore fleuri depuis la récente fête de la Toussaint et là, nous avons évoqué le souvenir de nos anciens. Leur caveau est modeste comparé au « mausolée » ostentatoire des gitans et comme à chaque fois l’un des beaux-frères ne manque jamais de le faire remarquer ; il est encore une fois le centre d’intérêt du cimetière, le sien en tout cas, et je ne peux m’empêcher de penser que ce tombeau recouvert d’une verrière cristallise toute ses peines, ses regrets et ses peurs. L’allée qui borde ce caveau déborde toute l’année de gerbes et de bouquets. Les « romano », les gitans ne sont pas très bien vus au « terroir ». Ah, ces estrangers, ces voleurs de poules, pendant combien de générations encore, devront-ils s’entendre qualifier ainsi. J’ai arrêté depuis longtemps de relever ces réflexions et décide de rester réceptive au plaisir des retrouvailles annuelles, d’une sensation de bien-être après nos excès de table et de boisson mais aussi de franche rigolade.
Nous reprenons la route vers Toulouse, nous, les petits-fils d’immigrés qu’on a qualifiés de « sales espagnols », ces romanos qui hier n’ont fait que franchir les Pyrénées, comme d’autres n’ont fait que traverser la méditerranée : tous des voleurs de poules, aujourd’hui voleurs d’ allocations familiales.
Deux heures plus tard je suis sur une autre planète : dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale, nous assistons à un débat avec Geneviève Azam et François Lille autour de la thématique : « Biens communs et biens publics : reconstruire la solidarité internationale » organisé par le collectif SSI, Survie Midi Pyrénées et ATTAC 31.
J’éprouve régulièrement le besoin d’assister à ces rencontres car elles m’informent et m’enrichissent plus facilement qu’en lisant un article de journal ou un livre. Nous voici au milieu d’une cinquantaine de personnes dont la moyenne d’âge se situe aux alentours de 40/50 ans. Ce que j’ai retenu…
G. Azam (enseignante-chercheur à l'université Toulouse 2 - Le Mirail, économiste et militante altermondialiste (membre du conseil scientifique et du conseil d'administration d'Attac France), nous dit
§ que les « biens communs » (les ressources naturelles, les espaces qui étaient communs avant la révolution industrielle…) ont quasiment disparu au 20 è siècle au profit des biens privés. L’idée de communauté heurtait alors la pensée libérale car on tendait à l’associer à l’idée de communautarisme. Elle cite l’exemple de la régie municipale d’électricité. Le terme réapparaît à partir de 1960 « régie des communs ». L’idée répandue est que la gestion commune conduit à un gaspillage des ressources.
Une référence : Garett Hardin « The Tragedy of the Commons » (1968) est partisan de la création de droits de propriété pour que les ressources naturelles puissent se renouveler. « Les biens communs ne sont justifiables que dans le cas de faible densité de population. Comme la densité a augmenté, l’idée de libre accès doit être abandonnée car elle a pour conséquence le gaspillage et ne peut conduire qu’à la tragédie de leur disparition ». Dans les années 1980/1990 la nature est considérée comme un capital qui travaille tout seul, comme capable de reproduire indéfiniment des services gratuits. Ce capital naturel à conduit à l’accaparement des (biens) communs.
Mélina Rostrom a obtenu le prix Nobel en montrant, contrairement à ce que soutient Hardin, que la gestion commune des ressources rares était plus efficace que la gestion privative ou étatique.
Remarque : 1/3 de la population mondiale vit des communs ! C’est l’Afrique qui est le plus menacée par cet accaparement des communs.
§ 2 conceptions historiques de la propriété :
- la propriété « Usage », elle donne le droit d’user mais pas d’abuser. Les communs peuvent être gérés démocratiquement. Ils ne peuvent être fractionnés. C’est une conception holistique (communs vus comme un ensemble).
- La généralisation du système des brevets comme modalité quasiment exclusive de protection conduit d’abord à étendre les droits de propriété. En Europe, l’extension des brevets en matière de protection végétale illustre cela…Les brevets qui portent sur les gènes eux-mêmes, illustre l’extension illimitée des droits de propriété. Cette extension est encore renforcée par l’effacement de la frontière entre invention et découverte. Les brevets ne sont plus seulement posés à l’aval de la connaissance, mais de plus en plus à l’amont.
Pour la 2ème conception, désolée mais j’ai eu une petite somnolence…je rêvai qu’ un sanglier traversait l’autoroute et venait s’empaler sur le Kangoo. Entre un sanglier et un Kangoo y’a pas photo. Le sanglier finit au congélateur (non ça c’est pas possible y’a déjà les cannellonis qui attendent sagement noël, mais après tout c’est un rêve, tout est possible…) et les poils de sanglier deviennent des pinceaux (on dirait du Prévert).
…Face à la crise internationale nous sommes obligés de trouver des solutions tous ensemble au travers d’un dialogue des civilisations.
G.Azam évoque Karl Polanyi, économiste hongrois dont le livre La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, Paris maintient deux thèses principales :
- L'économie de marché libre est une construction socio-historique et non un trait de la nature humaine. Ce n'est que depuis les années 1830 que le marché économique est conçu comme une entité à part entière, obéissant à des lois fixes indépendantes des cultures humaines.
- Les interventions étatiques sont des politiques spontanées en réaction aux dérégulations du marché. Cette thèse prend à contre-pied l'idée exposée par Hayek d'un marché économique spontané entravé par les interventions de l'État.
François Lille (économiste CNAM, chercheur indépendant, cofondateur de l’association BPEM (Biens publics à l’échelle mondiale, 2000/2006), et Membre du Conseil scientifique d’Attac) poursuit : « la terre, le travail, l’argent, le savoir, ne sont pas une marchandise ». Le militant a une voix basse et traînante ; le discours est difficile à appréhender à 22 heures passées…
J’ai bien aimé l’idée que la mondialisation a pris le relais du colonialisme : il est vrai que la bête à profits se régénère et trouve toujours les moyens de s’adapter et que nous devons prendre conscience que nous sommes des prédateurs universels. Bon là faut pas exagérer, y’a des gentils aussi, d’ailleurs on en est la preuve dans cette salle.
22 h 30, un jeune demande : « que dois-t-on faire alors ? ».
Geneviève Azam trouve les mots justes pour qu’on ne parte pas trop accablés de la réunion : « La situation est moins désespérée que dans les années 1980 car les problèmes sont sur la table aujourd’hui. C’est incroyable que la question du nucléaire puisse être remise en question en France ! Et on a fait reculer la question des gaz de schiste grâce à une mobilisation formidable».
Là Geneviève marque un point. Ca m’a regonflée le moral. C’est super de finir sur une note optimiste. C’est décidé, l’été prochain, pour la 4ème fois, on repart dans les Cévennes !