« Que faisiez-vous le 03 février dans la soirée ? »
J’ai toujours été frappée de cette question dans les interrogatoires policiers. Comment peut-on remonter le temps sans se tromper ? Télé ? Ciné ? Théâtre ? En train d’assassiner le voisin ? Ou sous la couette avec un bon bouquin ?
En réalité je m’en souviens parfaitement. J’avais reçu l’info par mail et je tenais à participer à l’hommage à Daniel Bensaïd mort le 12 janvier 2010. Une soirée avait eue lieu en Janvier. Vous la trouverez sur ce lien lemaidanielbensaid.blogspot.com. Depuis sa mort, une association s’est créée appelée « Le mai Daniel Bensaïd ».
Sa compagne Sophie, sa sœur Nicole, ses camarades et un public nombreux (300 personnes suivant mes estimations, 50 d’après la police - je rigole -) se sont pressés Salle du Sénéchal à Toulouse, pour se souvenir de lui et démontrer l’attachement aux idées qu’il défendait. La soirée avait aussi et surtout pour but de s’inscrire dans les luttes actuelles "Retraites - Magrheb - Hôpital Marchant".
Cathy Granier (militante au NPA, à Réseau sans frontières…) se souvient du journal « l’allumeur du belvédère » qu’ils animaient au Lycée Bellevue « lieu d’échange politique et poétique… ». Dans ce journal il faisait vivre sa réflexion politique avec toutes celles et ceux qui ne veulent pas baisser les bras.
Serge Pey, dit plusieurs textes poétiques et drôles : l’histoire d’une ficelle et d’un pantalon, d’une pyramide, d’un face à face, d’un labyrinthe et d’un dragon ; des images et des paraboles à foison.
Daniel Mermet rappelle la présence fréquente de D.Bensaïd sur les ondes de « Là-bas, si j’y suis », du grand sportif qu’il était en tant que cycliste. Toujours fidèle à ses combats radiophoniques et à son souci de donner la parole, D. Mermet l’a fait passer de l’un à l’autre. Et de citer trois mots qui étaient il y a peu de temps encore considérés d’une autre époque. Attention, ouvrez vos parapluies : ça tombe ! « Capitalisme », « Lutte des classes » et « Révolution ».
Eh oui ça choque. Mais, dit Daniel Mermet, le mot est revenu…avec la crise et les effets de ce capitalisme. La lutte des classes ? Nous sommes descendus dans la rue en octobre 2010 pour dire qu’on était tous devenus individualistes « Je lutte des classes ».
Révolution ? N’est-ce pas cela en Tunisie, en Egypte, au Yémen ?
D. Mermet poursuit « nous avons une révélation de ce qu’est l’oligarchie, c’est cela avec les Talibans. La révolution a dit non en prenant les risques d’une autre tyrannie possible ». C’est cela ou bien les régimes totalitaires. Les Arabes ont rejoint l’humanité…
Les interventions suivantes font référence aux différents mouvements sociaux qui ont secoué la France ces derniers mois.
Je regarde avec intérêt le public dans la salle, attentif, grave, varié en âges, en horizons : je reconnais des camarades militants du Nouveau Parti Anticapitaliste largement présents, des profs, des personnels de santé… Marie-Cécile Périllat (militante au NPA) rappelle le mouvement des retraites. Ce mouvement s’inscrit dans une séquence qui a commencé dès le début des années 1990 (en 1995, en 2003, un sursaut en 2006 et en 2010). Il y a eu beaucoup de luttes sectorielles chez les enseignants, les travailleurs sociaux et de santé. Tout cela conduit à une homogénéisation de la classe salariale, au refus de la remise en question du rapport au travail et à une maturation sociale et politique.
Je suis d’accord avec Marie-Cécile quant elle dit que tout n’a pas été perdu sur la lutte des retraites : comment quantifier les échanges, les acquis en relations humaines que nous avons gagnés dans les entreprises, dans les syndicats ? Ils sont pourtant bien palpables. Une confiance nouvelle, une énergie ont été gagnées.
Enfin Marie Rajablat fait un compte-rendu fort émouvant de la lutte de l’hôpital Marchant. Ce conflit, commencé le 18 octobre 2010 est le résultat d’un ras-le-bol massif des personnels. Pendant 66 j, 24 h/24 h les syndicats CGT, F.O, Sud CFDT sont rassemblés. Marie détaille les étapes douloureuses : la responsabilité qui a été celle des camarades les plus impliqués qui ont soutenu la volonté des salariés « nous devions incarner nos croyances…faire face au harcèlement de la direction de l’hôpital et essayer de répondre à toutes ces luttes qui montaient (à Purpan, Rangueil…) Elle signale le soutien du NPA, des Alternatifs, des Libertaires, des eurodéputés, d’un collectif interprofessionnel, mais aussi la démission de la « CGT Santé » départementale. Dur dur de voir la défection d’un tel syndicat. Elle signale, amère, l’absence totale de soutien de la part des élus du département de la Haute-Garonne .
Tout à coup alors qu’il nous avait été répondu inlassablement auparavant qu’il était impossible de trouver des infirmières, on nous accorde enfin l’enveloppe budgétaire la plus importante depuis 3 ans et des embauches à tour de bras. Après 66 jours de présence continue sous les tentes, dans le froid, le 24 décembre 2010 la tente est pliée car cela avait encore un sens de le faire à ce moment-là. Nous avons fait la démonstration que résister c’est possible.
Je sens bien que Marie Rajablat est encore toute entière face à ses collègues, à ses camarades du syndicat C.G.T, très marquée par l’émotion et les doutes qui l’ont traversée. Les discussions ont été âpres et l’énergie déployée a été immense. Rien n’est inéluctable et quand des espaces de rêves sont ouverts il faut aller jusqu’au bout pour ne pas les décevoir.
Salah Hamokrane est là aussi en témoin d’évènements qui se sont passés dans les banlieues en 2005 et qui se poursuivent toujours même s’ils sont absents des médias. Il faut se souvenir que c’est Villepin alors 1er ministre qui a signé en 2005 le décret « d’état d’urgence » sur tout le territoire national ! Ce n’était pas arrivé depuis la guerre d’Algérie.
S. Hamokrane s’insurge contre l’idée que les « quartiers » sont des déserts de lutte politique…ce sont des mobilisations qui sont issues de l’histoire de l’immigration. Avec le groupe « Origine contrôlée » il s’emploie à se réaproprier une histoire politique qui est la sienne. Il est essentiel de poursuivre le travail d’éducation populaire et d’éducation politique.
Je perçois la fragilité de S. Hamokrane ; il pense à ses parents, à la génération qui « rasait les murs dans les années soixante ». Quand la maman de Salah est hospitalisée à l’hôpital J. Ducuing, toute la famille Hamokrane est là. Lorsque nous tenions dans le hall de l’hôpital le bureau pour le vote citoyen pour maintenir le service public de la poste, ils étaient là, et sont venus voter bien sûr. Nous étions en famille.
Il raconte pourquoi les travailleurs immigrés logés dans des Foyers Sonacotra (tous bien connus pour leur grand confort et leur locataires pétés de tunes) font l’objet d’un acharnement depuis presque 2 ans de la part de la CRAM. Ces travailleurs qui perçoivent moins de 600 € par mois ne remplissent pas l’obligation de résidence de 6 mois par an en France. Ils ont toujours vécu ainsi dans ces allers/retours entre la France et le maghreb. Les shibanis doivent rembourser entre 10000 et 22000 € suivant les cas. Ces « vieux » âgés de 70/80 ans ont travaillé dans l’agriculture et n’ont pas été déclarés. Leur état psychologique est désastreux.
C’est ça l’engagement de S. Hamokrane et d’autres. Y’a du boulot !
L’heure tourne le micro circule. Il faut partir, la tête et le cœur plein des espoirs et des chants qui les accompagnent avec les voix de Moustaki, de Lluis Llach, de Ferrat. Verrons-nous ce monde un jour ? Nous sommes plus nombreux qu’on le croit, à y croire !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
je précise que : je n'accepte pas les insultes, les commentaires illégaux ou anonymes et que je me réserve le droit de les supprimer.